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Cagayous de Auguste Robinet  
Auguste Robinet, il était une fois cagayous  

 
Une autocélébration outrée et caricaturale 
Par Aïcha Kassoul  
 
Ne rappelons pas les choses désagréables. Il fait si beau. En 1830, la France lançait une expédition dite d'Alger pour éviter d'annoncer, tout de go, une entreprise de colonisation.  
La forme du discours commençait à importer dans le jeu de la guerre qui n'est jamais celui du hasard, et qui oblige aujourd'hui les plus puissants à inventer des mensonges gros comme un nez au milieu de la figure. Le nez a beau s'allonger comme celui de Pinocchio, la figure reste impassible, en bonne place dans le concert du tout consensuel qui relativise la dimension de l'appendice nasal au gré de l'histoire. Trêve de politique. Place et honneur à la littérature. En ce 13 juin 1830, l'aube était, paraît-il, splendide. Tel un beau monstre marin, l'armada française, sort de la nuit pour se faire bien voir et faire peur quelques instants au large d'Alger. Puis, après ce pied de nez silencieux, elle glisse vers Sidi Ferruch où a été programmé le débarquement. Je ne rappellerai pas la suite parce qu'elle est désagréable et connue. Baissons le rideau sans nous voiler la face, et clac, d'un coup de ciseaux long d'un siècle et plus, évitons les sujets qui fâchent par temps d'embellie. La parole n'est plus aux mauvaises têtes. Souriez, voici venir Cagayous, voyou et fanfaron de La Casbah d'Alger. Clic-clac, par un de ces coups médiatiques dont il a le secret, l'homme s'extirpe du chapeau du malheur, sorti tout droit de l'imagination d'Auguste Robinet (alias Musette), un de ces Français qui vivent et naissent dans l'Algérie désormais colonisée. Entre 1896 et 1920, Cagayous se donne en spectacle sur la scène coloniale, il fait lui aussi des pieds de nez, mais comme c'est un homme du peuple et qu'il a le sens de la justice, il ne se contente pas de se moquer des petits. Hagard Cagayous ? Non, il est carrément contre tous et contre tout le monde. C'est d'ailleurs avec ce programme franchement affiché - quelle naïveté ! - qu'il se présente aux élections législatives. « Citoyens antitout C'est dimanche qu'on vote pour se soigir le député de Alger Entention ! Le député de Alger y faut qui ressemble à le peuple d'ici, aussi non c'est la contrebande. Faut qu' i soye costo, courageux, louette et tout. Faut qu'i comprend tout ça qu'on dit en Arabe, en Apolitain, en Maltais, en Juif, en Spagnol et en Français naturel. Chaque année dans l'été, je dis qu'on donne le passage battel à ceuss-là qui z'ont le goût pour aller promener en France. Dans l'hiver, je donne la carte pour le tréatre à l'œil. Cuilà qu'il a besoin d'argent, moi j'y donne l'adresse de ceuss-là qui z'en ont boucoup. ça que je veux moi, c'est que le pays y soit riche et que le monde y soye content et moi député. Vivent nous ! Cagayous, candidat antitout. » Je manque d'information. Je ne sais pas si l'enfant de Bab El Oued s'est fait élire au début du siècle, un siècle après l'expédition d'Alger. Mais quand je relis son programme aujourd'hui, je me dis qu'il avait toutes les chances de passer, ce candidat antitout. Promesses de voyages gratuits (le problème des visas ne se posait pas encore), de la culture à gogo par temps froid (gratuite elle aussi), de l'argent pour les pauvres. Fantastique ! Enfin un homme de cœur qui pense à ses concitoyens aspirant à devenir des citoyens du monde dans le concert des nations humaines. Il n'a même pas la langue de bois, ce candidat qui s'exprime sans complexe dans la langue vivante, savoureuse et bigarrée de ceux qui doivent le comprendre et l'entendre pour le choisir comme leur député. Et puis tout d'un coup, je réalise la tromperie : ce programme est trop bon pour être vrai. Encore des manigances politiciennes, grosses comme un nez qui s'allonge au milieu des figures éligibles. C'est d'autant plus gros que ce Cagayous qui se dit « antitout » ne dit pas clairement contre quoi il est. En fin de compte, il est anti quoi, ce titi de Bab El Oued ? Antirien... mais pour tout : la liberté de circulation, la citoyenneté culturelle qui garantit l'universelle en même temps que la nationale. Alors ? Ce Cagayous nous rendra fous. A coups de gesticulations, de pirouettes, de pichenettes, il est le « rigolo » qui nous distribue un bol d'air en période d'asphyxie. Gouailleur, il est pour tout ce dont nous rêvons, et contre tout ce que nous détestons. Vous pigez ? Piégé par un système qui oblige au trafic de la vérité, Cagayous nous fait un vrai pied de nez. Et celui-là, il vaut son pesant de discours dans le monde qui ne rigole pas, jamais. Rions envers et contre tout. Tous pour Cagayous, le candidat antitout. Vivent nous !  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Modifié en dernier lieu le 31.10.2015
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